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Stop aux idées reçues n° 10

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Mais comment en est-on arrivé là ? Dans les années 1990, la France s’est donné des objectifs très ambitieux de restauration des masses d’eau. A cette époque, le climat était frais et plus humide. On cherchait à réduire la surproduction agricole. Or, le climat a changé. La production agricole a baissé. La planète toute entière est impactée… Cependant la société demande plus d’environnement. On continue donc à essayer d’atteindre ces objectifs que l’on s’est fixés dans les années 90 sans se soucier des conséquences économiques et sociales, voire environnementales au niveau de la planète. On ambitionne même retrouver les débits des cours d’eau d’autrefois…

Le climat de la planète change. La température augmente : on prévoit entre + 1,3°C entre le début et le milieu du siècle, et entre + 2,5 à 4,5 °C (selon les mesures qui seront prises pour réduire l’évolution climatique) sur la totalité du siècle.

Le régime des pluies se modifie. Certaines régions seront plus arrosées, d’autres moins. On s’attend à l’extension des déserts. Dans notre région, le cumul des précipitations ne devrait pas évoluer, mais les précipitations seront plus importantes en hiver (inondations), et les sécheresses estivales plus fréquentes et plus longues (rendements plus faibles, récoltes détruites par le manque d’eau).

L’agriculture est impactée par le changement climatique. Dans son 5e rapport, le GIEC cite « la forte croissance de la variabilité climatique » (écart de productivité d’une année à l’autre) et « les pertes globales de productivité » (sur la période 1980-2010, la production mondiale a baissé de 5,5% pour le blé et 3,8% pour le maïs). Le GIEC conclut que « toutes les dimensions de la sécurité alimentaire (accès, stabilité, disponibilité, qualité) seront affectées avec des impacts tout au long du siècle sur la croissance économique et sur la société ».

Face à une baisse de la production agricole, nous aurons une augmentation de la demande. On s’attend à un accroissement de la population mondiale de plus de 2 milliards d’habitants d’ici 2050. Il faudrait que la production alimentaire progresse d’au moins 60 à 70% d’ici 2050 (source FAO). A ceci s’ajoutent les besoins en produits agricoles pour remplacer les énergies fossiles (alimentation des méthaniseurs, plastiques biodégradables à la place de plastiques issus du pétrole,…).

Les besoins en eau des cultures augmentent avec le changement climatique. Sur l’Aube, au cours de ces cinquante dernières années, l’ETP, qui traduit les besoins en eau des cultures, a augmenté de 22%. Selon l’étude du programme PIREN-SEINE de l’Agence de l’eau réalisée sur le bassin de la Seine, l’ETP devrait augmenter de 10 à 25% sur la première moitié du siècle et de 15 à 35% sur la totalité.

Pour s’adapter au changement climatique et permettre le maintien des filières, des populations et des paysages, l’agriculture aura besoin de plus d’eau. Le GIEC l’a rappelé. La plupart des pays l’ont bien compris : entre 2003 et 2013, la surface équipée pour l’irrigation en Europe a augmenté en moyenne de 13,4%. Seule la France cherche à réduire son irrigation, malgré les besoins qui augmentent. Mais pourquoi ?!

Concernant la gestion de l’eau, la France a pris une orientation extrêmement soucieuse de l’environnement aquatique depuis les années 1990 avec la Loi sur l’Eau en 1992, la Directive Cadre sur l’Eau de 2000 déclinée en France en 2004, la Loi sur l’Eau et les Milieux Aquatiques  de 2006, et plusieurs textes réglementaires en 2021.

A propos de la DCE, comme toutes les directives européennes, ce sont les pays européens qui se fixent eux-mêmes leurs objectifs. Or, la France s’est imposé des objectifs bien plus ambitieux que les autres états. D’où un décalage dans la réglementation entre les pays européens. Les autres pays ont ainsi pu continuer à développer leur irrigation pour s’adapter au changement climatique, alors que la France a stoppé afin de respecter ses engagements.

En France, les seules priorités de la gestion de l’eau sont les milieux aquatiques, l’eau potable et la sécurité civile. Les usages économiques (irrigation, industrie, transport) ne sont que des variables d’ajustement. Or, avec le changement climatique, les débits des cours d’eau baissent. Conformément à sa réglementation et à ses engagements, la France cherche donc à réduire son irrigation. Lors des Assises de l’eau en 2019, elle s’est fixée comme objectif de réduire ses prélèvements de 10% en 5 ans et de 25% en 15 ans.

Dans l’Aube, le développement de l’irrigation s’est fait après les années 1990 dans un contexte de restriction des prélèvements. Le quota d’eau accordé à l’irrigation est déjà le plus restreint possible. Actuellement, sur pomme de terre, le volume d’eau attribué est insuffisant une année sur deux. Fin du siècle, les besoins auront augmenté de 20% (avec un scénario optimiste). Ne pas augmenter le quota d’eau à la culture équivaut à impacter la production, les filières économiques et le tissu rural.

La France a mis en place des outils pour réduire son irrigation : planification pour atteindre les objectifs avec les SDAGE, les SAGE, classement en ZRE, OUGC pour gérer la pénurie d’eau,… Courant 2021, plusieurs textes réglementaires ont été ajoutés complexifiant l’accès à l’eau.

Le lancement des PTGE (projet de territoire pour la gestion de l’eau) témoigne d’une inquiétude pour l’agriculture et un souci de sécuriser l’accès à l’eau aux irrigants. Cependant, il y a des freins réglementaires et il s’accompagne d’une réduction des prélèvements. A ceci s’ajoutent des mouvements d’opposition qui arrivent même à stopper des projets mis en place en toute légalité.

En France, la vision environnementale qui domine n’intègre pas suffisamment la problématique du développement durable, les enjeux socio-économiques et paysagers qui en dépendent et les biens publics mondiaux (climat, sécurité alimentaire et biodiversité). Il devient nécessaire d’intégrer l’évolution des besoins avec le changement climatique et de songer à développer la ressource. Il devient urgent d’anticiper au lieu de subir.